Trains, Tracteurs, Traducteurs

Arrivée à Pékin par le rail

你们好 ! 

J’ai pris un peu de retard pour rédiger cet e-mail et j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. La semaine a été un peu particulière, coupée en trois avec la fin de mon séjour dans le Yunnan, un voyage en train de 33 heures et 24 minutes et mon arrivée à Pékin.

Mes derniers jours à DMY et dans le Yunnan se sont très bien passés. Une copine ukrainienne que j’avais rencontrée à Kunming est venue quelques jours et nous avons pu ensemble bien avancer sur la restauration de la maison de Yy. On a fabriqué une table à partir d’une vieille porte en bois que l’on a poncée, polie et vernie à la main. Il y a quelque chose d’assez satisfaisant dans le fait de construire un meuble dont on sait qu’il sera utile.

Comme prévu l’apiculteur est également venu donner quelques conseils à Yy concernant les ruches. Je suis restée à distance raisonnable mais j’ai pu observer le processus d’ouverture de la ruche. Les abeilles sont d’une espèce typique de la région, elles sont toutes petites. De ce que j’ai pu apprendre il ne faut pas installer les ruches trop près du sol et il ne faut pas les ouvrir trop tôt car elles n’aiment pas le froid. Globalement les abeilles vivent leur vie et si elles n’aiment pas la ruche elles iront s’installer ailleurs. On a aussi choisi une nouvelle reine pour l’une des ruches.

Le début de semaine a été l’occasion de faire une petite marche dans les montagnes pour visiter les temples du coin. Le premier est dédié à l’eau, le second à l’amour, on noue des fils rouges entre deux arbres pour symboliser la force des liens, le troisième est dédié à l’argent, on y touche des sculptures représentant un « arbre à sous » pour attirer la fortune. Le quatrième temple, toute en haut, est dédié aux 12 animaux sacrés de l’horoscope chinois.

Après cet hommage aux dieux il a fallu quitter DMY et Kunming, non sans passer par la petite boulangerie française pour me ravitailler en pain pour le voyage. Me voilà embarquée pour 33 heures, wagon numéro 5, couchette 007 haute.

Chaque compartiment comporte 6 lits, 3 de chaque côté, et on accommode les valises comme on peut sous les lits ou sous la petite table. Ça sent la cigarette (les chinois fument BEAUCOUP) et les nouilles instantanées à intervalles réguliers. Certains passagers prévoient de vrais repas qu’ils sortent de je ne sais où par magie.

J’avais prévu de quoi m’occuper, j’ai notamment passé une partie du voyage à coudre pour repriser quelques vêtements qui commencent à souffrir, ça a bien amusé mes compagnons de compartiment. Beaucoup de lecture au programme également. Je me suis mise à lire les essais de Simone Weil (à ne pas confondre avec l’autre Simone, Veil) notamment « réflexions sur les causes de l’oppression sociale », dans lequel elle discute du marxisme. Après avoir vu les impacts du communisme au Kerala (qui en a fait en 2 ans l’état le plus alphabétisé d’Inde) et le commu-capitalisme en Chine j’ai trouvé ce livre très intéressant à mettre en perspective. Je crois qu’en Chine la doctrine est appliquée « pour la production et non pour le producteur, pour la consommation et non pour le consommateur ». C’est exactement comme ça que je le ressens en voyant partout ce besoin de tout monétiser au détriment de l’humain qui produit et qui crée. Peut-être que le secret de ce type de régime réside dans le fait de ne pas rester au pouvoir trop longtemps. En même temps quand on se renseigne sur Mao et la « révolution culturelle » qu’il a entreprise en Chine ça fait froid dans le dos !  

Bref, à lire pour ceux que ça intéresse, c’est disponible gratuitement sur Kindle.

Arrivée à Pékin 33 heures plus tard j’ai fini par rejoindre la ferme Shared Harvest, créé par Shi Yan en 2012. Je n’ai pas encore fait son interview donc j’en sais assez peu pour le moment, d’autant que je suis arrivée le week-end donc je n’ai pas vraiment commencé les vraies activités agricoles.  

Cette ferme est bien plus grande que celle que j’ai visitées avant, avec 66 hectares, 26 serres et plus de 60 employés. Ici on fait pousser des arbres fruitiers, des légumes et on élève des oies et des poules. Il y a quelques vaches et deux ânes.

La ferme fonctionne selon le modèle CSA (community supported agriculture), c’est un peu comme les Amaps en France. Les membres s’affilient en pré-payant pour une certaine quantité de fruits et légumes par an. Chaque famille peut visiter la ferme et planter quelques graines également. Le mot d’ordre, c’est « Know your farmer, know your farm, know your food ». Ce dimanche nous avons reçu 6 familles et les enfants ont pu planter du coton bio et ramasser des fraises, à leur plus grand bonheur (j’en profite aussi beaucoup).

Je suis logée dans des conditions plutôt… spartiates. Quand je suis arrivée ma chambre n’avait pas de lit. J’en ai maintenant un, qui trône au milieu de la pièce vide et blanche, avec une couverture posée dessus en guise de matelas. Le compartiment exigu du train me manquerait presque. J’ai négocié une couverture en plus et réussi à me faire prêter un oreiller par une voisine de chambre, autant dire que c’est maintenant le grand luxe.

La barrière de la langue a fait son grand retour, je n’ai vu personne parlant couramment anglais depuis que j’ai quitté Kunming. Une autre bénévole vient cependant d’arriver, une chinoise qui vit aux Pays-Bas. Ça devrait m’aider grandement à comprendre ce que je dois faire ici et surtout pourquoi je dois le faire. À part ça tout le monde est très sympa et essaie de communiquer avec moi par le biais des traducteur automatiques des téléphones, ce qui donne des quiproquos assez rigolos. Ce matin on m’a par exemple proposé d’aller aider un fermier à « creuser un trou pour notre mariage ». Ça m’a un peu effrayée, mais il s’avère que ce n’est pas du tout ce qu’on essayait de me dire. Point de mariage et point de trou à creuser, on me proposait en fait de labourer avec une machine que j’ai paraît-il maniée à merveille hier. Ou alors il veut m’épouser parce que je suis une bonne fermière ? Affaire à suivre…

À vite, 
Lucile

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