Chamane dans la Taïga

Vers le nord

Сайн байна уу !

Voilà 100 jours que j’ai quitté Paris. Je suis poilue comme un yak et ma coupe de cheveux ressemble maintenant plus à une coupe mulet des années 80 qu’au mannequin Twiggy, mais le moral est bon et c’est ça qui compte !  

Mon dernier mail date d’il y a 10 jours, perdue dans le parc national Tavan Bogd avec les Kazakhs et un van en panne. Le van réparé notre petit groupe est retourné à Ulgii fêter la naissance de mon nouveau petit neveu (il est très beau) puis est venu le temps de nous séparer. L’argentin est parti vers l’ouest de la Chine, l’allemand à l’est, le brésilien vers le Kazakhstan et j’ai rejoint Oulan-Bator, étape obligée avant de repartir vers le nord. 36 heures de bus, musique mongole à fond. De temps à autre le bus s’arrête entre deux rangées de façades dressées sur le vide, blocs de bois ou de béton à l’allure soviétique, ambiance ville fantôme dans la rue qui traverse cette étape improvisée au bord de la piste, balayée par le vent et le sable. Est-ce que le vent s’arrête parfois en Mongolie ? 

Derrière les lourdes portes doublées de feutre il fait chaud et on s’attable pour déguster des buuz, raviolis à la vapeur fourrés à la viande, ou bien des nouilles maison, fabriquées avec la même pâte que les buuz et accompagnées de la même viande. Un gros thermos de thé au lait légèrement salé trône sur chaque table. En face du restaurant c’est une petite boutique, investie par un groupe de mongols qui discute vivement. Ils achètent une bouteille de vodka, se ravisent, en prennent finalement deux et un jeu de cartes.  Ils passeront le reste du trajet à parier au fond du bus. Les bouteilles finies, ils se relaieront toutes les 40 minutes pour demander au chauffeur de faire une petite pause technique sur le bord de la route. Long, long trajet. 

Arrivée à Oulan-Bator j’ai été atteinte d’une sorte d’angoisse aiguë à l’idée de remonter dans un bus pour 15 heures, je suis donc restée deux jours à ne rien faire (à part prendre des douches, laver mes vêtements et manger des fruits et légumes, miracle de la capitale) avant de me décider à partir pour Murun, dans le nord. 

À Murun c’est déjà un peu la Sibérie. Le paysage change, ce sont de petites maisons de bois aux toits colorés et il y a des arbres. La forêt est appelée la Taïga, c’est là que vivent les nomades Tsatan, qui domestiquent les rennes. 

Je suis accueillie par Saraa, qui m’héberge dans sa maison/guesthouse où elle vit avec son mari, ses deux enfants, sa mère et provisoirement avec une chamane de l’ethnie Tsatan. 

Pour mieux comprendre le contexte mongol il faut faire un peu d’histoire. Après la dissolution de l’empire de Genghis Khan, la Mongolie est sous domination chinoise de 1750 à 1911. C’est à cette époque que le bouddhisme s’impose à la place du chamanisme, religion de base du pays. De 1919 à 1990 c’est la Russie soviétique qui prend le contrôle du pays, détruit la plupart des monastères bouddhistes et impose l’alphabet cyrillique. 

Depuis l’indépendance du pays les mongols tentent de retrouver leurs racines, se tournent à nouveau vers le chamanisme. Politiquement le parti communiste et le parti démocrate se succèdent tour à tour. 

Revenons-en donc à Saraa.  Femme d’influence dans sa communauté, elle a fondé l’ONG « life of circle » en 2010 pour venir en aide aux femmes isolées. Elle anime 5 groupes de soutien de 15 à 20 femmes pour les aider à acquérir une indépendance financière et à s’intégrer socialement. Saraa m’a expliqué que beaucoup de femmes en Mongolie sont seules et en situation de précarité. Les hommes ont une espérance de vie significativement plus courte que les femmes, les lois familiales ne protègent pas du tout les mères et vous l’aurez compris la Mongolie souffre d’un problème d’alcoolisme important. Saraa attribue ça à l’influence soviétique, les russes étant arrivés en Mongolie à grands renforts de vodka, puis à l’indépendance le « droit de boire » a été considéré comme un « droit à la liberté ». 

Ainsi Saraa lève des fonds, organise des activités et lie des partenariats avec des entreprises pour vendre l’artisanat des femmes de sa région. Elle souhaite maintenant impliquer les hommes et créer des groupes leur permettant de s’exprimer et de partager leurs problèmes autrement qu’en buvant. Elle s’engage également pour l’environnement, plante des arbres partout, tente de fleurir sa ville et de faire pousser des légumes. En 2017 elle est élue maire de Murun. N’étant affiliée à aucun parti politique, le parti communiste refuse de reconnaître son élection et elle devra aller en justice 3 fois avant d’obtenir ses documents officiels de maire. Ses prochains projets : mettre en place un système de gestion des déchets et de recyclage dans la ville, planter encore des arbres et ouvrir un camp d’été pour les enfants à la campagne.  

Au milieu de tout ça autant dire qu’elle avait assez peu de temps à me consacrer. Je me suis occupée en plantant les graines que j’ai récoltée tout au long de mon voyage. J’ai créé un fertilisant avec du compost organique et bien sûr de la bouse de vache, j’ai fabriqué des petites serres en matériaux recyclés et tenté plusieurs techniques pour planter légumes et fleurs. On verra si ça pousse. Dans mes activités je n’étais pas quittée d’une semelle par la chamane, très intéressée par tout ce que je faisais et me demandant régulièrement avec grands signes et bruits si j’habite dans une tente en France, si j’ai des rennes, si j’ai des vaches (signe avec les doigts de cornes sur la tête et « meuuuh » sonore). 

Sans information sur les moyens de me rendre en Russie je suis allée à la station de bus lundi demander des informations. On m’a indiqué un bus partait le soir même. Le suivant on ne sait pas quand. Peut-être un autre jour dans la semaine, peut-être pas. À la perspective d’une nouvelle galère de transport ou d’un nouveau retour à Oulan Bator je n’ai pas hésité, je suis rentrée faire mon sac, dire au revoir à ma copine chamane et j’ai sauté dans le mini-van direction Oulan-Oudé, Russie. 19 heures plus tard, musique mongole à fond toute la nuit, arrêts dans des étapes fantômes, thé au lait, passage de frontière, me voilà arrivée en Russie, face à la tête géante de Lénine. Je retrouve avec joie l’eau courante, les toilettes où on peut s’assoir dessus, le supermarché qui vend des légumes et même du fromage. 

À l’heure où je vous écris je suis dans le train numéro 001, le transsibérien Vladivostok-Moscou. Je m’arrêterai à Irkutsk pour passer quelques jours au bord du lac Baikal. 

Donnez-moi des nouvelles !  

À vite, 
Lucile 

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