Pays Baltes, entre Europe et Russie

A la conquête de l’ouest

Kippis !

J’avais dit que j’écrirais moins et on me réprimande car je ne donne pas de nouvelles. Voici donc quelques extraits choisis de mes pérégrinations autour de la Baltique.

Après Saint Pétersbourg je suis arrivée en Estonie, à Tallinn, mon premier stop de retour dans l’union européenne. Je m’attendais à trouver un pays encore très similaire à la Russie, je me suis trompée. Tallinn est une ville très moderne, très écolo, bien plus tournée vers l’Europe et notamment les pays du Nord que vers la Russie. Le centre historique, médiéval, est très touristique, propre, sans voitures. Le quartier de Tellinskivi fait penser à un petit Berlin avec ses cafés, son marché aux puces et ses galeries d’art moderne. En Estonie et partout ailleurs dans les pays Baltes le recyclage est favorisé par la consigne : les bouteilles en verre et en plastique ainsi que les canettes sont consignées et le consommateur récupère de l’argent et les recyclant. C’est simple et efficace et c’est bien dommage que ce système ait disparu en France. Il y a plein de pistes cyclables et de transports en commun style « trolleybus », qui fonctionnent à l’électricité. On trouve comme à Paris des trottinettes abandonnées un peu partout, donc tout n’est pas parfait non plus. 

De Tallinn j’ai pris la décision un peu sur un coup de tête de prendre le ferry (qui pollue atrocement) pour Helsinki, où j’ai retrouvé Ville (prononcer Vil-lé), un ami d’Erasmus que je n’avais pas vu depuis 6 ans. On s’est retrouvés comme si c’était hier, j’ai fait des crêpes et on a partagé une bonne Weissbier, comme quand on étudiait à Aachen. J’ai visité Helsinki avec sa femme, Pinja (car il s’est marié entre temps) et dépensé mon budget d’une semaine entière en 24h (gloups, c’est cher les pays nordiques !). Aucun regret, c’était super de se revoir. On a parlé de l’Europe, des élections, de la façon dont les réseaux sociaux faussent notre vision de la société (tous leurs amis ont voté, et ils ont voté vert !). Ils m’expliquent qu’en Suède et maintenant en Finlande aussi est apparu le « plane shaming« , c’est à dire que les gens qui prennent l’avion pour partir en vacances sont durement critiqués. Pinja travaille pour l’aéroport et m’explique qu’elle essaie de faire changer les choses. On réfléchit à des taxes vertes, aux voyages en train, à notre privilège de pouvoir critiquer l’avion parce qu’on l’a déjà pris pour voir le monde à l’époque où on ne pensait pas à notre empreinte carbone. On en vient toujours à la même conclusion : manger local pour que nos légumes ne prennent pas l’avion non plus, covoiturer, prendre le train, les transports en commun et voyager autrement. 

Après cette escapade je suis retournée à Tallinn puis j’ai pris le bus pour Riga, capitale de la Lettonie. Je devais être hébergée chez Elena, une ukrainienne qui vit en Lettonie depuis de nombreuses années avec sa mère. Elle avait caché une clé pour que je puisse entrer, étant absente quand je suis arrivée. 

Son appartement est dans une barre d’immeubles en banlieue de Riga. Je suis arrivée sous une pluie battante. Mon premier contact avec la Lettonie a été gris et humide, après le beau soleil et les rues pavées d’Estonie le contraste n’en était que plus saisissant. En entrant chez Elena j’ai eu l’impression que l’appartement était resté dans son jus depuis l’URSS. C’était comme si elles étaient prêtes à partir, ou qu’elles venaient de rentrer. Il y avait des sacs de vêtements et des cartons partout, pas de peinture aux murs, un désordre indéfinissable. J’ai eu l’impression d’être dans le film « Goodbye Lénine ». Je suis restée quand même, et j’ai bien fait. 

Le lendemain matin j’ai rencontré Elena, qui était rentrée pendant la nuit (mais comme mon sommeil résiste à tout même aux tremblements de terre liméniens je n’ai rien entendu). Elle m’a un peu raconté sa vie, elle travaille pour le programme Erasmus + en Lettonie, vient de revenir vivre avec sa mère après une rupture difficile et a vécu en Inde aussi. Elle teste maintenant une théorie hindouiste, traduite en Russe par un YouTuber (pour Pépé et mamie : c’est quelqu’un qui fait des vidéos et les poste sur l’Internet), pour essayer d’être une femme « moins indépendante », car elle pense que sa liberté a complexé son ex copain. Tout un programme. Elle a émis des doutes sur cette stratégie mais s’amuse visiblement beaucoup à « faire semblant de ne pas pouvoir porter quelque chose ou ouvrir la portière d’une voiture toute seule ». J’espère qu’elle me tiendra au courant des résultats de ce test sociologique. 

Riga c’était pas mal sinon, je suis allée au musée de l’occupation qui m’a appris beaucoup de choses sur les pays baltes, successivement occupés par la Russie, l’Allemagne nazie et l’URSS, qui a procédé à de nombreuses déportations de « dissidents », direction la Sibérie. 

Après Riga j’ai fait route vers Klaipeda au sud de la Lituanie. Je suis allée assez vite dans mes étapes car on m’attend à Berlin ce soir. Mon arrêt à Klaipeda a cependant fait partie de mes étapes favorites de ce voyage. La ville n’a en soi rien de particulier, mais je me suis rendue sur l’isthme de Neringa, qui s’étend jusqu’à l’enclave russe de Kaliningrad. J’ai marché une quinzaine de kilomètres entre le village de Praila et Nida, tout au sud. C’est un petit paradis de verdure, dunes de sables, pistes cyclables avec le lagon d’un côté et la mer baltique de l’autre, bordée de superbes plages. Il faisait 30 degrés et j’en ai profité pour faire un petit plongeon dans la mer (fraîche, très fraîche). 

Dernière étape de mon périple balte : Vilnius, capitale de la Lituanie. J’étais hébergée chez Sharif, un iranien qui y vit depuis 9 ans, qui a aussi vécu en Inde et qui sortait également d’une rupture difficile (je ne sais pas pourquoi je tombe toujours sur les mêmes profils). Il m’a parlé de sa vie en Lituanie, des problèmes de visa, des stéréotypes. Il m’a dit qu’il se sentait comme un dalit dans le pays (les dalits sont les « hors caste » en Inde, si vous avez suivi tous mes mails). Il doit faire attention à son image sans arrêt pour ne pas être mis à l’écart. On a parlé de décroissance et d’écologie, il m’a dit que dans sa situation pour maintenir son rang social dans une société pétrie de peurs de l’étranger il est obligé de céder à certaines règles de la société de consommation : avoir des vêtements neufs, avoir l’air toujours très propre, etc. On s’est dit qu’avec mon gros sac à dos les gens ici pensent en général que je suis une étudiante en année sabbatique mais que si j’étais un peu plus bronzée ils changeraient de trottoir. Partout, de la Chine jusqu’à la Lituanie, les locaux me posent toujours la même question : « est-ce que c’est vrai qu’il y a trop de noirs à Paris ? » (Véridique, on m’a posé cette question 10 fois). 

Sharif m’a aussi conviée à un débat sur l’Afrique, auquel je suis allée. Apparemment il y a deux ans l’UNICEF Lituanie a fait une campagne pour lever des fonds en envoyant des instagrammeurs (pépé : Instagram est un réseau social où les gens postent des photos d’eux principalement) en Éthiopie pour se prendre en photo avec des enfants et ce slogan « pour 3 euros vous pouvez sauver un africain ». La campagne a été énormément critiquée pour les stéréotypes qu’elle véhicule et l’UNICEF s’en est pris plein la tête. La question centrale étant : pourquoi continuer à véhiculer l’image du sauveur blanc venant à la rescousse de l’enfant africain qui meurt de faim ? Quelle est l’utilité réelle des ONG de développement ? 

On a parlé du rôle du don, de colonialisme et colonialité, de représentation et de nouveaux modes de communication. Il me faudrait des pages et des pages pour tout expliquer mais c’était très intéressant. Appliqué à la Lituanie les intervenants ont parlé de la fierté de pouvoir se placer en qualité de donateur, après avoir été receveur pendant tant d’années. Ils se sentent plus européens s’ils sont en mesure de donner aux pays « en voie de développement ». Les représentants de l’UNICEF ont rappelé leur rôle de défense des droits fondamentaux des enfants et cette grande question est restée en suspens « est-ce que la fin justifie les moyens ? ». Vaste sujet. 

C’est sur ces réflexions, qui me suivent depuis l’Inde, que j’ai quitté la Lituanie pour la Pologne. Arrêt express à Varsovie avant de poursuivre vers Berlin. 

Je vais retrouver une ville que je connais, une langue que je parle et des copains péruviens pour la première fois depuis 6 mois. Ça me fait bizarre. Je croyais que j’avais hâte de rentrer mais assise dans ce bus je me demande si je n’ai pas plutôt envie de repartir en sens inverse, il y a encore tellement à voir et à apprendre en Russie, en Mongolie, en Chine et en Inde. 

Rassurez-vous je n’ai plus de visas pour pouvoir faire ça, donc je continue ma route vers l’ouest 🙂 

Allez, je vous laisse avec ces considérations nostalgiques. 

À très vite,
Lucile

Ps : kippis ça veut dire santé en finnois, mais je ne savais pas en quelle langue écrire bonjour. 

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