Les ancêtres, la pluie et le voyage

Au pays du patriarcat

Namaste !

Voilà encore une nouvelle semaine d’écoulée en Inde ! Le week-end dernier à Delhi s’est bien passé mais a été un peu éprouvant niveau trajets. 11h de route au lieu de 6 à l’aller à cause des pluies et un retour en bus de nuit qui ne voulait pas s’arrêter pour faire une pause pipi. Je ne préfère pas vous dire à quels extrêmes j’en ai été réduite pour parer à un besoin très très pressant.  

Cette semaine à la ferme a été placée sous le signe de la pluie ! Pluie diluvienne et ininterrompue pendant des jours. Alors que tout commençait à s’imbiber d’humidité le soleil est finalement revenu aujourd’hui. J’ai profité des jours de pluie pour faire mon tour d’aide en cuisine et mettre à profit les connaissances que j’ai acquises en confection de chapattis (pain plat traditionnel) pendant que j’étais à Delhi. Ce sont les enfants de Tara qui m’ont appris à les faire.

À part ça tout va toujours bien à Navdanya, mais je vais profiter un peu ce mail pour briser le mythe du monde parfait, car tout n’est pas parfait ici. 

La grande quantité de temps libre à notre disposition permet une observation complète de la vie en communauté, de la différence des cultures et des caractères. Les « westerners » (les occidentaux) qui viennent pour une courte période ressentent en général beaucoup de frustration, car le rythme ici est tout autre que celui auquel on est habitués. Les questions restent très souvent sans réponse pour la bonne raison que les indiens répondent en général en racontant toute une histoire. Anecdotes, poésie, lunes, étoiles, histoires d’ancêtres sont toujours dans la réponse, ce qui fait qu’ils perdent bien souvent le fil de la question initiale. Face à ça il ne faut pas perdre patience, reposer sa question, attendre deux ou trois jours et au moment où on s’y attend le moins quelqu’un viendra nous trouver pour nous répondre. 

Les cours de l’après-midi sont dispensés par un professeur différent chaque jour, qui commence invariablement par son cours par la même question « de quoi voulez-vous parler aujourd’hui ? ». Chacun pose sa question et apporte son grain de sel, il attend en silence. Quand on a fini nos requêtes, le cours commence presque systématiquement par « mon arrière arrière-grand-mère/père » ou encore « il y avait au village un aveugle et un manchot… ».

On a parfois l’impression de ne pas apprendre assez vite, on apprend en fait beaucoup plus qu’on ne le croit mais pas sur les sujets attendus. 

La productivité ici passe bien après la sens de la communauté, on cultive pour sauvegarder, on cultive pour nourrir et on cultive pour apprendre, dans le respect des principes du « Dharma » (respecter la vie). Un des fermiers nous a ainsi dit « je suis chrétien, je suis musulman, je suis hindou, je suis sikh, je suis bouddhiste parce que je suis fermier ». 

Pour les westerners qui viennent peu de jours et qui ont déjà travaillé dans une ferme le défi est encore plus grand. Ils arrivent, pensant partager leur grand savoir et expliquer aux indiens comment faire mieux. Mauvaise idée, dans un pays au passé colonial encore douloureux où la terre, le climat et les gens sont si différents.  Pourquoi vouloir changer 25 ans de méthodes qui fonctionnent en 5 ou 6 jours de visite ? En arrivant ici il faut oublier tout ce qu’on pensait savoir et simplement observer pour essayer de comprendre. 

Ce qui peut surprendre et décevoir aussi c’est qu’on s’attend à arriver dans la ferme d’une activiste « eco-feministe » et donc à voir des femmes qui dirigent le lieu. Hélas, bienvenue en Inde, pays patriarcal au possible et la petite oasis qu’est Navdanya n’y échappe pas. La plupart des bénévoles sont des femmes occidentales, les fermières qui travaillent dans les champs sont des femmes indiennes et le personnel administratif et dirigeant est composé uniquement d’hommes indiens. On se retrouve donc souvent dans la situation où les femmes travaillent accroupies dans les champs pendant que les hommes regardent. Heureusement ce n’est pas toujours le cas et ils mettent régulièrement la main à la pâte, mais quand même !  

On a demandé pourquoi c’était comme ça et la réponse est très simple : les femmes n’ont pas le temps de travailler à des postes administratifs, puisqu’elles doivent déjà s’occuper des champs et de la maison. On est dans une région très rurale où les mentalités changent lentement et tant que les hommes ne seront pas disposés à occuper une plus large place à la maison les femmes ne pourront pas se défaire de cette tâche. Les « self-help groups » qui regroupent 20 fermières et dont je vous ai parlé la dernière fois aident en ce sens puisqu’ils permettent aux femmes de gérer leur argent, d’élire une représentante et une trésorière et de créer ainsi leur propre petite communauté. 

Quant aux bénévoles ? Nous n’avons toujours que 2 garçons (qui, quand ils ont fini la tâche qui leur était assignée, ne vont pas demander si quelqu’un a besoin d’aide puisque « personne ne leur a dit de le faire »). Pour le reste nous ne sommes que des femmes, de 18 à 45 ans, de pays et de parcours différents mais avec un point commun assez significatif : nous avons toutes vécu ou vivons encore toutes dans un pays qui n’est pas le nôtre. Je passe beaucoup de temps avec chacune pour discuter des raisons qui les ont poussées à migrer, non par nécessité ultime mais par un besoin suffisamment fort pour partir plusieurs années ou pour toujours loin de chez elles alors que la société nous pousse généralement tout à fait au contraire. Qu’est-ce qui fait que ce petit groupe de femmes en ait décidé autrement ?  

Pour S., allemande qui vit en Tunisie (après avoir vécu en Bosnie), c’est l’envie de vivre dans une société plus chaleureuse et vivante qui a motivé son départ. MJ a quitté son Équateur natal après le décès de son grand-père, qui lui chantait toujours des chansons soviétiques. La voilà partie en Russie voir ce qu’il aurait voulu voir. Ça fait maintenant 7 ans qu’elle y vit (et elle ne chante plus tellement de chansons soviétiques). Pour C. c’est une tragédie familiale terrible qui a été le déclencheur de son départ : sa petite sœur a été kidnappée en pleine nuit dans sa maison familiale de Californie et retrouvée morte deux mois plus tard. Si elle ne pouvait pas être en sécurité même chez elle, elle allait l’être partout ailleurs. Elle a donc vécu successivement au Kirghizistan, en Géorgie et au Kazakhstan. V., partie de France pour s’installer au Cambodge, m’a donné une explication bouddhiste très poétique à ce besoin d’ailleurs.  On aurait toutes laissé dans une vie antérieure une partie de notre âme dans ces régions du monde où l’on revient toujours. Le karma nous pousse à retrouver ces morceaux d’âme là où on les a laissés, c’est pourquoi on se sent plus à notre aise dans certains pays et pourquoi on apprend certaines langues plus facilement. Dans une vie antérieure j’ai peut être fait partie de l’expédition qui a ramené les mogettes d’Amérique Latine vers la Vendée, qui sait. 

Allez, je vous laisse sur ces réflexions spirituelles et avec quelques photos. Si mes ingénieurs de frères veulent bien étudier la photo du four solaire, je compte bien en construire un dans le jardin à mon retour.  

À vite, 
Lucile

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