Autour du Thali

Sucré, salé, acide, amer

Namaste !

De retour à Delhi je profite d’un moment de tranquillité pour vous envoyer quelques nouvelles. Mon séjour à Navdanya vient de se terminer et il me faudra un peu de temps pour bien réfléchir aux apprentissages que je peux tirer de ce mois passé dans notre petite communauté internationale biologique, dont le mot d’ordre répété chaque jour définit bien l’ambiance : « good people, good environment, good food ». 

Cette dernière semaine a été riche en découvertes avec la visite de deux groupes de japonais qui ont partagé avec nous leurs connaissances, leurs chants et leur mode de vie, en surmontant la barrière de la langue par de grands gestes et de beaux sourires. C’est aussi une semaine qui a résolument été placée sous le signe de la nourriture. 

Je crois que les cuisiniers indiens sont tous un peu sorciers. De mon premier voyage je connaissais Ganesh, notre cuisinier à la maison. Plutôt petit, trapu, légèrement boiteux, Ganesh nous interdisait formellement l’accès à la cuisine et nous criait « Fire ! Fire ! » de sa voix caverneuse dès que nous en franchissions le seuil. Il prenait un malin plaisir à nous concocter des petits plats épicés à en pleurer et s’amusait beaucoup de nous voir renifler tout au long des repas. Il reste aussi à ce jour celui qui a préparé les meilleurs thés que j’ai jamais goûtés. 

À la ferme le cuistot en chef, détenteur de tous les secrets, c’est Kamal-le-silencieux. Si je l’appelle comme ça c’est parce qu’en un mois il ne m’a pas décoché ni un mot ni un sourire, n’a jamais répondu à une seule de mes questions et ne communiquait qu’avec Maria José, notre amie d’Équateur, sous la forme de grands éclats de rire et de petites claques amicales. Kamal nous autorisait tout au plus à découper les légumes hors de la cuisine et refusait catégoriquement de nous donner ses recettes. 

Après de longues tergiversations dans le but de pouvoir cuisiner un repas nous avons finalement obtenu de Kamal un kilo de pommes de terre, deux oignons et de l’ail pour faire nos preuves. Nous voilà donc trois filles de trois nationalités différentes à l’œuvre pour faire des patates sautées, scrutées par 5 paires d’yeux d’Indiens goguenards se relayant toutes les minutes pour nous demander à quel moment on allait mettre du piment. Nos patates ont finalement fait l’unanimité et vous avons gagné le droit de cuisiner un repas complet pour fêter mon départ. 

Vendredi soir les 6 dernières volontaires étaient donc réunies en cuisine dès 16h30, dans la bonne humeur et accompagnées en musique par quelques cumbias. Les deux garçons ont passé la tête dans la cuisine à 19h pour savoir où on en était et si on avait besoin d’aide. Ils ont lavé une casserole et avaient l’air d’attendre de nous qu’on leur chante des louanges au milieu de mille remerciements (leur indignation était à son paroxysme quand quelqu’un a osé dire « merci les filles d’avoir cuisiné »). Bref, on s’est beaucoup amusées dans un mélange d’hindi, anglais, espagnol et français à cuisiner ce repas multiculturel en musique et en danses. 

Si les cuisiniers indiens sont si réticents à nous livrer leurs recettes je crois que c’est parce que ce sont des sortes de mages, détenteurs d’un précieux secret : celui des épices. Chaque thali (grande assiette à compartiments sur laquelle est servi tout le repas d’un coup) possède toutes les saveurs de l’ayurveda, censées éveiller les 5 sens. J’ai parfois été réprimandée pour ne pas avoir pris de chutney (très très très spicy !!!). Mon repas était incomplet et on ne manquait pas de me le faire remarquer. On mange avec les doigts, en mélangeant le dal avec le riz pour former de petites boulettes.

Je garde un excellent souvenir de la nourriture de la ferme, délicieuse, variée, locale et bien sûr bio ! J’ai trouvé à la bibliothèque de la ferme une belle collection de livres avec des recettes. Je les ai gardées et vous pouvez les consulter sur ce lien. 

Cette semaine nous avons également eu le privilège de créer un nouveau revêtement pour la banque de graines, à base évidemment de bouse de vache. Grand moment d’amusement, les mains dans la mouise ! Ce revêtement est utilisé pour ses propriétés antiseptiques et anti-humidité.  

Un passage express par Delhi hier a été l’occasion dire au revoir aux enfants de Tara (l’ong où j’ai travaillé en 2014 pour ceux qui n’ont pas suivi) et de subir une dernière défaite aux échecs par un des jeunes. J’ai également retrouvé deux anciennes collègues et j’ai constaté avec surprise que j’étais de nous trois la plus habillée traditionnellement. Nous avons longuement parlé de leurs nouveaux projets et des raisons qui leur ont fait abandonner progressivement saris et bindis. Indépendance financière, opposition à leurs familles, ouverture à de nouvelles opportunités par l’intermédiaire de Tara ont été en partie responsable de ces changements et j’ai entrevu par cette conversation mille aspects de l’Inde qu’il me reste encore à découvrir. 

Je suis maintenant en route pour Cochin, au sud de l’Inde, où je vais retrouver ma coloc Mathilde pour deux semaines de tourisme et la visite d’une autre ferme qui produit en bio notamment pour la consommation d’un orphelinat. Toute l’organisation y est gérée par des femmes, ce sera donc l’occasion de voir d’autres méthodes. J’avance également sur la planification de la suite de mon voyage, avec en prévision un volontariat en Mongolie pour aider à un projet de création de jardin bio, végétalisation de l’espace public et formation de femmes à la création de leurs propres produits à vendre et à conserver pendant l’hiver. On m’a demandé de recueillir des bulbes et graines de fleurs sur ma route qu’on pourra planter quand j’arriverai en avril. 

Je profite aussi de ce mail pour faire un point « zéro déchet » après un mois de voyage. Pour l’instant ça a été assez facile, j’ai jeté deux emballages plastique, quelques serviettes en papier, un gobelet en carton, du papier toilette et des déchets organiques compostables (que j’ai compostés). Il faut souvent refuser pour essayer de réduire les déchets (le repas dans l’avion, la bouteille d’eau du bus, les gâteaux emballés…). Enfin, je suis tout à fait consciente que ma passion du voyage est un vice bien coûteux pour l’environnement, et c’est bien pour ça que je fais des efforts par ailleurs pour tenter de limiter mon empreinte carbone et donner un sens à ce voyage. 

Tout se passe donc toujours bien de mon côté du monde et je poursuis mon chemin vers de nouveaux horizons, pendant que les copains changent le monde à  la télé (Milena Aimé ici) et à la radio (Anthony Ikni sur le rôle de la jeunesse ici).

À vite, 
Lucile

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