Les derniers jours de Pékin

Strawberry Fields Forever

你们好 ! 

Quelle semaine ! Mes derniers jours à Pékin ont été plutôt intenses en émotions et en rebondissements. Attention mail long mais drôle, promis ! 

J’ai passé quelques jours à la ferme Shared Harvest à 2h30 de Pékin comme prévu, où j’ai pu en savoir plus sur le fonctionnement et les objectifs de cette ferme bio, qui est la première de celles que je visite à avoir un autre but que l’auto suffisance et à avoir une vraie stratégie commerciale. Environ 800 familles sont membres, et reçoivent chaque semaine leurs courses bio qu’ils peuvent choisir par Internet. Chaque secteur de Pékin a son jour de distribution. Nous recevons donc le matin les commandes passées la veille et allons récolter les fruits et légumes en fonction de la demande. Ensuite on passe au calibrage et on transmet le tout à l’entrepôt qui se charge de préparer les paquets, qui sont distribués le lendemain matin. 

Les horaires de travail sont un peu étranges, avec un début de journée vers 7h30, pause déjeuner à 11h45 et sieste jusqu’à 14h. Tout le monde pratique la sieste, la ferme s’endort donc pour à peu près une heure complète avant de se remettre au travail. Je m’entends bien avec mon équipe, trois filles et deux garçons. Tout le monde est très sympa et plein de sollicitude envers moi. J’ai quand même du mal à me faire à certains traits chinois, par exemple tout le monde a SON bol pour les repas et SON rouleau de papier toilette. Pas question de partager. Alors chacun se promène avec son petit rouleau à la main à l’heure de faire ses besoins et avec son petit bol et ses baguettes à l’heure des repas. 

Dans cette ferme, qui est la plus moderne de toutes celles que j’ai visitées, on utilise des techniques d’agriculture plus avancées. Ils ont par exemple reçu des caisses d’œufs de coccinelle, que nous avons dispatchés pour empêcher les infestations de pucerons. Comme tout pousse sous serre, on a également procédé à la pollinisation des plants de tomates et de courges. Pour les tomates, qui sont hermaphrodites si j’ai bien compris, on utilise un petit appareil électrique qui fait trembler les fleurs et s’envoler le pollen. Pour les courges, on a appris à reconnaître les fleurs mâles des femelles et on a pollinisé les femelles à la main en utilisant les fleurs mâles. Je n’avais aucune idée de tout ça, ça a donc été une bonne source d’apprentissage.

Parmi mes moments favoris, comme un peu partout en Chine, les repas ont occupé une place de choix. Je me suis régalée avec tous ces légumes fraîchement ramassés, la confiture de fraise maison au petit déjeuner, et j’ai sauté sur chaque occasion qui m’a été donnée d’aller travailler dans la serre des fraises (qui poussent entrecoupées de plants d’ail, très bon pour repousser naturellement les insectes !). Je m’y glissais parfois pendant les pauses pour aller manger une ou deux fraises trop mûres (ou 3 ou 4). Cette serre est d’ailleurs la seule qui est d’ordinaire fermée par un cadenas, et j’ai eu la mauvaise surprise jeudi de m’y retrouver enfermée. Quelqu’un a par inadvertance remis le cadenas sans voir que j’étais à l’intérieur ! Je crois que c’est une leçon du karma, j’ai été punie pour pêcher de gourmandise ! 

Pendant mon séjour on m’a également demandé de faire une présentation de mon expérience aux employés de la ferme. Ça m’a pris au dépourvu et je ne savais pas trop comment ça allait se passer, sachant que la plupart ne parlent pas un mot d’anglais ! Je n’avais aucune idée de ce qu’ils attendaient de moi et un peu la pression de faire cette présentation devant la fondatrice de la ferme, Shi Yan, doctorante et femme très reconnue dans le milieu. 

J’ai finalement préparé un PowerPoint avec quelques phrases clés en chinois. J’ai parlé rapidement du Pérou et de ses richesses climatiques et agricoles puis j’ai enchaîné sur mon voyage et sur les fermes que j’ai visitées, photos à l’appui. Yaoyun, qui est en stage ici et a étudié deux ans aux Pays Bas a fait office de traductrice. 

À la fin de la présentation j’ai eu beaucoup de questions, notamment sur l’Inde et sur ma politique « zéro déchets ». J’ai partagé mes recettes de cosmétiques faits maison. Nous avons eu une discussion sur la place des femmes dans l’agriculture et dans la société chinoise, sur les traditions à sauvegarder et sur l’influence de l’occidentalisation sur la culture chinoise. 

Quelqu’un m’a ensuite posé des questions sur la nourriture chinoise, et tout le monde a commencé à rigoler doucement. Mon amour de la confiture de fraise n’est pas passé inaperçu, et on m’en a offert un pot pour la suite de mon voyage !  

J’ai aussi eu l’occasion de faire une petite interview de Shi Yan, qui m’a dit que faire de l’agriculture bio dans le monde actuel est un acte politique. Elle a souligné que c’est très compliqué en Chine puisque la terre ne leur appartient pas.  Maintenant que sa ferme fonctionne bien, le gouvernement lui a demandé de quitter sa maison dans le village d’à côté pour y construire… eh oui, un projet de tourisme ! Elle prend tout cela avec philosophie et s’adapte aux aléas pour faire vivre son projet. Cultiver en bio à Pékin c’est aussi un acte de résistance presque ridicule au vu de l’extrême pollution, mais elle m’a dit essayer de faire sa part pour améliorer la situation environnementale, et qu’elle rappelle à ses clients que bio ne veut pas dire pur. Impossible dans l’air pollué de Pékin de produire des aliments « purs ».

Je suis repartie pour la capitale vendredi, avec pour projet d’acheter mon billet de bus pour la Mongolie, de visiter la grande muraille et de voir la cité interdite. Je ne savais pas alors que je m’engageais pour une aventure où presque rien n’allait se passer comme prévu. 

Premier arrêt : la station de bus, où je me suis rendue dans l’objectif d’acheter un billet pour dimanche soir. On m’explique, par traducteurs téléphoniques interposés, que les billets ne peuvent s’acheter que le jour même. Il faut que je vienne dimanche deux heures avant le départ du bus pour trouver le chauffeur et acheter un billet. Bon, j’essaie de relativiser mais sachant que mon visa chinois arrive à expiration le mardi ça me laisse une marge de manœuvre très faible. Qu’à cela ne tienne, je repars en sens inverse et retrouve Sandra, une colombienne qui vit à Pékin et m’accueille chez elle pour mes deux derniers jours en Chine.

Nous planifions d’aller ensemble le lendemain voir la grande Muraille à Mutianyu avec son ami Andrew, un américain d’origine chinoise qui devrait pouvoir nous aider à nous déplacer.  Samedi matin nous sommes donc tous les trois en route et petit à petit je me rends compte qu’Andrew a un niveau de chinois à peu près similaire au mien. Le trafic est horrible et nous mettons trois heures pour arriver au site. 

Mais soudain la voilà. On la devine au loin, qui serpente dans la montagne. On voit ses tours perchées sur les crêtes et les remparts qui descendent à pic le long du relief. On termine le chemin à pied, il faut une petite heure pour gravir toutes les marches qui nous amènent au pied du mur. Et l’émotion est bien là quand tout à coup on passe une petite porte et ça y est, on y est. La Grande Muraille de Chine. C’est la saison parfaite pour y aller. En ce début de printemps tous les arbres sont en fleurs et leurs pétales blancs s’envolent et recouvrent tout. On parcourt tout un pan de remparts, montant et descendant au gré des pics de la montagne. Ça valait vraiment le voyage. 

Dimanche matin puisque j’aime vivre dangereusement je décide d’aller faire un tour à la cité interdite avant de retourner à la station de bus pour essayer d’avoir un billet. Andrew est de la partie, il a insisté la veille pour me dire qu’il est inutile d’acheter un ticket à l’avance pour la cité interdite, bien que j’aie répété deux ou trois fois qu’à mon avis c’est plus prudent. On se retrouve place Tiananmen, où l’émotion est à nouveau au rendez-vous en pensant aux terribles événements qui s’y sont déroulés. 

La place est très sécurisée, avec fouille des sacs et vérifications des passeports pour y accéder. Au milieu trône le mausolée de Mao, énorme.

On fait un tour rapide de la place puis on se dirige vers la porte céleste, entrée de la cité interdite, surmontée d’un gigantesque portrait de Mao. Évidemment il n’y a plus de tickets disponibles (je l’avais bien dit !!). Je crois que 80 000 tickets environ sont vendus chaque jour, ça donne une idée de la fréquentation massive du lieu ! Tant pis, j’en garderai les images qu’ont créées dans mon esprit les descriptions très détaillées qu’en a fait Pierre Loti dans son récit « Les derniers jours de Pékin » (à ajouter à votre liste de lecture, disponible gratuitement sur Kindle). 

Je ne me démonte pas et comme j’aime vraiment vivre dangereusement je me dis qu’on a quand même le temps de pousser jusqu’au temple du Ciel avant que je ne file récupérer mon sac à dos pour aller prendre le bus. C’est une bonne décision, il y a bien moins de monde et on peut flâner dans le grand parc en fleurs où quelques personnes font du taï-chi. 

L’heure tourne sans que je ne m’en rende bien compte, il faut vraiment partir maintenant ! À la sortie je tombe sur une boulangerie qui vend une magnifique baguette à la française, j’interprète ça comme un signe positif du destin pour mon périple à venir ! Me voilà donc dans le métro, baguette sous le bras, en vraie parisienne !  

Xinfadi, station de bus. La réceptionniste de la dernière fois me reconnaît et téléphone au chauffeur du bus. Il arrive une heure plus tard, alors que je commençais à m’inquiéter, et il fait un tour autour de la gare, entre dans plusieurs bureaux, va au comptoir de vente de billets. Soudain il attrape mon sac à dos et me fait signe de le suivre.  Il est 16h, le bus est censé partir à 17h30, mais il jette mon sac dans la soute et me dit qu’on y va ! Je ne comprends rien, je suis la seule passagère, ce n’est pas l’heure, je n’ai pas payé mon billet. Dans le bus je commence à rire nerveusement toute seule, le chauffeur le voyant se met lui aussi à rire. Hilarité générale quand le copilote s’y met. Une demi-heure plus tard le bus s’arrête sur un parking et on me dit de descendre. Je n’ai plus du tout envie de rire en entendant le chauffeur me répéter « Ming tian ! Ming tian ! ». « Ming tian » ça veut dire « demain » en chinois. Or ming tian moi je dois quitter le pays, parce que c’est là fin de mon visa. 

Je finis par comprendre qu’en fait il veut me dire qu’on passe bien la frontière demain, mais que le bus part ce soir à 18h30. En attendant je trouve des toilettes, après être passée par un trou carré pratiqué dans un mur. Ce sont des toilettes à la chinoise, ouvertes, on fait pipi à la queue leu-leu et il y a là une chinoise qui écoute nonchalamment de la musique et semble avoir pris racine. Je dois lui demander de sortir pour pouvoir faire mon affaire.  

À 18h il finit par y avoir du monde sur le parking, principalement des mongols qui parlent tous anglais et me confirment que je suis au bon endroit. 

Le bus est enfin parti à 19h30. Si tout va bien quand je vous enverrai ce mail mon pot de confiture de fraise et moi serons en Mongolie (demain ? après demain ? Je ne sais pas quand je retrouverai une connexion Internet). 

À vite, 

Lucile 
NB : je suis de l’autre côté de la frontière, tout va bien ! 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *